LETTRES SUR LA VIE DE HAYDN – N°2 : l’enfance de chœur.

Cathédrale-Saint-Etienne-de-Vienne-SMALLExtraits des « Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase » par Stendhal,Giuseppe Carpani,Théophile Frédéric Winckler,Friedrich von Schlichtegroll

« Le hasard conduisit chez Frank, Reùter, maître de chapelle de Saint-Etienne, cathédrale de Vienne. Il cherchait des voix pour recruter ses enfants de chœur. Le maître d’école lui proposa bien vite son petit parent: Reùter lui donne un canon à chanter à première vue.

La précision, la pureté des sons, le brio avec lequel l’enfant exécute, le frappent; mais il est surtout charmé de la beauté de la voix. Il remarqua seulement qu’il ne trillait pas, et lui en demanda la cause en riant. Celui-ci répondit avec vivacité: « Comment voulez-vous que je sache triller, si mon cousin lui-même l’ignore? » — « Viens ici, je vais te l’apprendre, » lui dit Reùter. Il le prend entre ses jambes, lui montre comment il fallait rapprocher avec rapidité deux sons, retenir son souffle, et battre la luette.

L’enfant trilla sur-le-champ, et bien. Reùter, enchanté du succès de son écolier, prend une assiette de belles cerises que Frank avait fait apporter pour son illustre confrère, et les verse toutes dans la poche de l’enfant. On conçoit la joie de celui-ci. Haydn m’a souvent rappelé ce trait, et il ajoutait, en riant, que toutes les fois qu’il lui arrivait de triller, il croyait voir encore ces superbes cerises.

On sent bien que Reùter ne retourna pas seul à Vienne ; il emmena le nouveau trilleur. Haydn avait huit ans environ.
Dans sa petite fortune, on ne trouve aucun avancement non mérité, aucun effet de la protection de quelque homme riche. C’est parce que le peuple en Allemagne aime la musique, que le père d’Haydn l’apprend un peu à son fils; que son cousin Frank la lui enseigne un peu mieux; et qu’enfin il est choisi par le maître de chapelle de la première église de l’empire. C’est une suite toute simple de la manière d’être du pays, relativement à l’art que nous aimons.

Haydn m’a dit qu’à partir de cette époque, il ne se souvenait pas d’avoir passé un seul jour sans travailler seize heures, et quelquefois dix-huit. Il faut remarquer qu’il fut toujours son maître, et qu’à Saint-Etienne, le travail obligé des enfants de chœur n’était que de deux heures. Nous cherchions ensemble la cause de cette étonnante application. Il me contait que, dès l’âge le plus tendre, la musique lui avait fait un plaisir étonnant. Entendre jouer d’un instrument quelconque, était plus agréable pour lui que courir avec ses petits camarades. Quand, badinant avec eux dans la place voisine de Saint-Etienne, il entendait l’orgue, il les quittait bien vite, et entrait dans l’église. »

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